
Focus sur... « L’Atelier de l’impasse Guelma », de Raoul Dufy
En 1911, Raoul Dufy s’installe au pied de la butte Montmartre. Le vaste atelier est surmonté d’une immense verrière. Plus qu’un décor, c’est une véritable machine à lumière. À certaines heures, Paris se reflète dans de chaleureux tons ocres et rouges le long du bleu des murs. Jamais clos, l’espace de l’atelier respire ainsi au rythme de la ville.
Chez Dufy, les vues d’atelier forment un thème à part entière. Elles lui permettent de tenir ensemble l’intime (la table, la palette, les cadres) et l’extérieur (la lumière, la rumeur urbaine). Pendant l’Occupation, lorsqu’il travaille à Perpignan, ce motif resurgit : peu importe la ville, Dufy commence par apprivoiser le lieu — puis il le peint.
Repères chronologiques
1911 — Dufy s’installe au 5, impasse Guelma (Montmartre) // Années 1910–1930 — Multiples vues d’ateliers, variations sur la lumière et la couleur // 1940–1944 — Perpignan : ateliers temporaires, nouvelles déclinaisons du motif // 1953 — Disparition de l’artiste ; l’atelier de l’impasse Guelma reste l’un de ses lieux emblématiques
Dans cette œuvre, le bleu domine. C’est la signature de la pièce, mais aussi un climat : une couleur-air, qu’on respire. Loin d’étouffer les autres tonalités, elle les fait vibrer. Le bleu accueille les ocres et les rouges venus de la rue, dehors et dedans se mélangent par le prisme de la verrière.
Dufy structure son tableau par une enfilade de fenêtres, portes, cadres et tapis. Carrés, rectangles, trapèzes s’imbriquent comme un jeu d’architecture. Pourtant, une touche souple et expressive allège la construction. Cette tension — rigueur de la composition, liberté du geste — donne au regard un rythme, presque une musique.
Cette tension — rigueur de la composition, liberté du geste — donne au regard un rythme, presque une musique.
L’Atelier de l’impasse Guelma ne montre ni modèle, ni autoportrait frontal. Et pourtant, tout y parle du peintre : son goût pour la lumière franche, son sens de la composition claire, sa manière d’ouvrir les intérieurs comme autant de fenêtres sur le monde. L’artiste n’apparaît pas ; c’est l’atelier qui raconte sa présence.
Avec son œuvre, Dufy montre comment un lieu de travail devient une forme : un système de lignes, de plans et de couleurs où la vie circule. Le tableau réussit ce paradoxe : être construit sans être raide, lumineux sans être tonitruant, intime tout en restant ouvert. L’atelier, chez Dufy, n’est pas un secret ; c’est une fenêtre. ◼
Voyons ça de plus près…
- La palette posée sur le petit guéridon : seule forme circulaire au premier plan, elle déjoue le règne des lignes droites
- Les traces de pinceau dans les aplats : une surface calme, mais jamais figée
- Le passage de la lumière d’un plan à l’autre : une mise en scène discrète du temps qui traverse la pièce