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Focus sur... « Men in the Cities » de Robert Longo

Oscillant entre danse et chute, les silhouettes en costume de la série Men in the Cities, de Robert Longo, sont parmi les plus connues de l'artiste américain. Réalisés au début des années 1980, au fusain et d'après photographies, les trois panneaux monumentaux forment un triptyque indissociable. Ils ont rejoint la collection du Musée en 2000 — un don de Robert Longo lui-même. Alors que démarre ces jours prochains au Grand Palais « Dessins sans limite », une exposition événement qui puise dans les trésors du Cabinet d'art graphique du Centre Pompidou, retour* sur une série d'œuvres qui a largement influencé la pop culture, des pubs pour l'iPod à la mode d'Hedi Slimane.

± 4 min

Des murs de l’appartement du golden boy psychopathe, héros du film culte American Psycho (2000), au générique de la série américaine Mad Men (2007–2015), en passant par des publicités pour Apple, les iconiques Men in the Cities n’ont cessé d’être citées, copiées ou détournées, au point que leur auteur dit en avoir perdu la paternité. C’est cette dépossession symptomatique de la surconsommation des images et de leur incessante régurgitation par la culture de masse et les médias que Robert Longo dépèce obsessionnellement depuis la fin des années 1970.

 

Des murs de l’appartement du golden boy psychopathe, héros du film culte American Psycho, au générique de la série américaine Mad Men, en passant par des publicités pour Apple, les iconiques Men in the Cities n’ont cessé d’être citées, copiées ou détournées.

 

Que, sous son impulsion, une campagne publicitaire pour Bottega Veneta en 2010–2011 ou un shooting avec Nicole Kidman en 2024 reprennent les codes visuels des photographies d’après lesquelles il a dessiné une cinquantaine de ces fusains entre 1977 et 1982 souligne leur nature reproductible, sinon communicationnelle. Ces nouvelles variations confirment leur destin « d’images d’images », traversées par l’imaginaire du film noir : la série a pour origine un photogramme du film de Rainer Werner Fassbinder, Der amerikanische Soldat [Le Soldat américain] (1970), figeant l’instant où un gangster, abattu, est sur le point de s’effondrer au sol – mais aussi les performances convulsives de James Chance (et de son groupe bien nommé The Contortions), des Ramones ou de David Byrne que Longo écoutait en boucle à l’époque. C’est dire combien les gesticulations de ses sujets étaient chorégraphiées et mises en scène. Ses artifices sont connus : projectiles lancés en direction du modèle qui devait les éviter ou cordes nouées autour de son corps et tirées comme celles d’une marionnette.

Transposées au fusain, ces silhouettes anonymes, élégamment corsetées dans des poses paroxysmales oscillant entre orgasme, agonie et mouvements de danse, sont les symboles abstraits d’une classe sociale, celle des yuppies new-yorkais et de leur hubris. « Des blancs, […] juste des âmes condamnées. Des gens qui ont construit les immeubles qui allaient leur tomber dessus », disait Robert Longo. Monumentalisés, ces motifs ordinaires sont élevés au rang de tableaux d’histoire. Car leur format XXL s’inscrit dans une Amérique du « bigger is better », mais aussi dans la mythologie épique de l’expressionnisme abstrait, premier grand mouvement artistique américain selon Longo.

 

Quand on dessine une image, […] on la consume. Elle devient une partie de chaque molécule de votre corps et ensuite vous l’expulsez pour la projeter sur une surface. C’est une transmutation.

Robert Longo

 

Dessinateur compulsif depuis l’enfance, il s’attache à mettre sa virtuosité hyperréaliste au service du dessin pour le sortir du cadre étriqué auquel il est souvent assigné (dimensions modestes, fonction d’ébauche, subordination à la peinture) et concurrencer les autres médiums – pratique viscérale dont l’aspect léché de son œuvre ne doit pas oblitérer l’épreuve physique qu’elle implique. Un visiteur de l’atelier de Longo n’a-t-il pas comparé la poussière de charbon qui recouvre le corps de l’artiste et chaque centimètre de son espace de travail à l’argile dont Alberto Giacometti semblait parfois être fait ? Un intense engagement physique sous-tend d’ailleurs la métaphore alchimique qu’il utilise pour décrire son processus créatif : « Quand on dessine une image, […] on la consume. Elle devient une partie de chaque molécule de votre corps et ensuite vous l’expulsez pour la projeter sur une surface. C’est une transmutation ». ◼