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Christophe Hay, « chef paysan »

À Blois, le chef Christophe Hay cultive bien plus qu’une table étoilée : chef paysan et solidaire, il relie terroir, engagements sociaux et création contemporaine dans une même vision humaniste de la gastronomie. Dans le cadre du festival « Art(t]chipel », en partenariat avec le Centre Pompidou, il a collaboré avec l’artiste Jonathan Bablon autour d’un workshop associant gastronomie et création contemporaine. Rencontre avec un passionné.

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C’est au cœur de Blois, chef-lieu du Loir-et-Cher, que le chef Christophe Hay a posé son univers. L’ancien hospice du 17e siècle, imaginé par le prince Gaston d’Orléans sur la rive ouvrière de la Loire, a été transformé en établissement hôtelier haut de gamme abritant notamment le Fleur de Loire, deux étoiles et une étoile verte au Guide Michelin, et l’Amour Blanc. Ici, la cuisine d’exception dialogue avec la création artistique. « La gastronomie et l’art, ce sont deux milieux hyper fusionnels et complémentaires », commente Christophe Hay. Il cite Roger Vergé qu’il a connu aux États-Unis, associé à Paul Bocuse et à Gaston Le Nôtre, chef et collectionneur, comme inspiration : « Il avait un musée dans son restaurant… Pour moi, c’est important de m’associer au festival Ar(t]chipel, de créer un lien avec les jeunes autour de l’art et de la gastronomie. »

 

Pour moi, c’est important de m’associer au festival Ar(t]chipel, de créer un lien avec les jeunes autour de l’art et de la gastronomie.

Christophe Hay

 

Dans ses établissements, œuvres de céramique, bois tourné et modelé par la Loire, bronzes de Pierre-Jean Chabert, photographies de la Loire et sculptures dialoguent avec les lieux. Il poursuit : « En tant que chef, on a aussi une sensibilité concernant le travail de la matière, donc de la porcelaine qu’on peut utiliser comme support en cuisine. » Dans le cadre d'Ar(t]chipel, cinquante-six élèves de trois établissements scolaires ont ainsi pu concevoir et modeler des plats en céramique avec l’artiste Jonathan Bablon, destinés à accueillir les mets préparés sous la houlette du chef. « L’éducation au goût, c’est très important. J’ai aussi beaucoup travaillé avec des cuisiniers d’établissements scolaires, notamment sur la partie végétale. », ajoute le chef.

Itinéraire d’un chef, du Loir-et-Cher à la Floride

La cuisine, chez Hay, c’est d’abord une histoire familiale. « Nous avons une ferme familiale depuis cinq générations. Ma mère était cuisinière dans un collège, mon père boucher. J’étais donc plongé dans le produit et dans les jolis repas du week-end à la ferme, autour de grandes tablées », commence celui qui est issu d’une longue lignée paysanne dans le nord du Loir-et-Cher, à Saint-Jean-Froidmentel. Enfant dans les années 1980, Christophe Hay y a été témoin de la souffrance de ses grands-parents, producteurs de lait face aux dérives d’alors, les quotas laitiers, « où l’on jetait le lait dans les égouts, où l’on arrachait les haies ». Pourtant, se rappelle-t-il, « on prenait plaisir à faire ou à déguster de beaux produits ». « Vers huit, neuf ans, je bricolais déjà des choses en cuisine avec ma mère et ma grand-mère. » se souvient le chef. À quinze ans, il intègre le lycée hôtelier de Blois, puis débute à la table d’Éric Reithler, Au rendez-vous des pêcheurs, alors seul étoilé de la ville. Il commence comme commis, pour finir sous-chef. Avant d’intégrer l’équipe de Paul Bocuse. De « Monsieur Paul », comme l’appelle Christophe Hay, on trouve une statuette au Fleur de Loire, signe de la profonde déférence que témoigne l’élève reconnaissant au maître.

 

Vers huit, neuf ans, je bricolais déjà des choses en cuisine avec ma mère et ma grand-mère.

Christophe Hay

 

C’est pour lui qu’il accepte de partir comme chef à Orlando, en Floride, en 2002. Un vrai défi que relève le jeune homme de 24 ans qui ne parle pas anglais et ne connaît encore que peu de choses de la vie. « C’était surréaliste… Je me retrouve en immersion, je deviens bilingue. » Une fois de l’autre côté de l’Atlantique il découvre la poularde de Bresse élevée à Atlanta, de la truffe dans l’Oregon… Il y restera cinq ans avant de rentrer en France en 2008, au chevet de son père malade.

Philosophie culinaire : terroir & engagement

Au fil de ses expériences, Paris d’abord puis Montlivaud ensuite où il obtient sa première, puis sa deuxième étoile en 2019, Christophe Hay développe une cuisine qui plonge ses racines dans la terre et le vivant : « Je suis surtout un chef paysan, ou peut-être un paysan chef », reconnaît celui qui a éprouvé une grande fierté à créer sa société agricole. En 2018, il achète trente-sept têtes de bœuf wagyu, la souche du bœuf de Kobe, au Japon, « la plus belle viande du monde, la plus persillée qui soit ». Aujourd’hui, son troupeau au nord d’Angers compte plus de cent têtes. Un clin d’œil à son père et une marque supplémentaire de sa recherche d’excellence, à l’instar des poissons qu’il pêche et sélectionne dans la Loire pour approvisionner sa table. Cet ancien champion de pêche au coup a d’ailleurs consacré son dernier livre, La Loire, trésors culinaires, à vingt poissons d’eau douce, du célèbre brochet à l’énigmatique silure en passant par l’ablette.

 

Je suis surtout un chef paysan, ou peut-être un paysan chef.

Christophe Hay

 

Pourtant, ce chantre de la cuisine raisonnée ne s’interdit pas de piocher dans des saveurs plus lointaines, pour peu qu’il connaisse les producteurs et qu’ils respectent leur terroir. Sa sélection soignée de vanille arrive de Nouvelle-Calédonie, son cacao du Pérou et son café du Salvador où il possède une petite parcelle. « Je suis avant tout un “terroiriste”. Faire attention au sol, à l’impact environnemental, à l’humain, c’est ce qui me guide afin de valoriser les produits que je propose à mes convives. » C’est ainsi que le chef est régulièrement en déplacement à l’international ; il en rapporte des aromatiques, des agrumes, qu’il acclimate sur les bords de Loire ; une variété d’origan, des calamansi, une espèce de pomelo à la forme de poire, du shiso… Arpenter son potager, c’est déjà un voyage tant les parfums y sont puissants. Ce n’est sans doute pas Vicky, sa chienne labrador noire, qui dira le contraire ; dressée pour déceler les truffes et leurs arômes puissantes, elle est la mascotte du Fleur de Loire.

Engagements sociaux : solidarité et transmission

Au-delà des fourneaux, Christophe Hay multiplie les engagements. Ce jour d'octobre, alors que tout le personnel de Fleur de Loire arbore le fameux pin’s au ruban rose, la lutte contre le cancer est son combat le plus visible. « Toutes nos familles sont concernées par cette maladie… Mon père a travaillé toute sa vie, il a pris sa retraite et quelques semaines après, on lui décelait un cancer. Après le deuil, on se rend compte qu’avec notre notoriété, on peut faire des choses pour la Ligue contre le cancer, pour les jeunes. » Il travaille également avec l’association Adel, qui aide les enfants atteints de leucémie ou de cancer, et avec celle de Kylian Mbappé, qui lui permet d’accueillir régulièrement des jeunes issus des quartiers populaires ; « On leur montre qu’on peut démarrer de rien et construire de belles choses », leur promet ce travailleur acharné. « C’est hyper touchant de les voir évoluer, de les voir intégrer des écoles de commerce, de magistrats. Tous, nous traversons la même tourmente. Mais on doit garder l’humain au centre. Et transmettre. » ◼