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Le Centre Pompidou &... Woodkid

À 42 ans, Woodkid — de son vrai nom Yoann Lemoine — est l'un des talents français les plus reconnus à l'international. Musicien et producteur, clippeur (pour Lana Del Rey ou Rihanna), compositeur pour des jeux vidéos : ses champs d'action créatifs sont très vastes. Féru de photographie et de design, habitué du Centre Pompidou, l'artiste nous livre ses coups de cœur au sortir de « Rien ne nous y préparait − Tout nous y préparait », la carte blanche à Wolfgang Tillmans. 

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Ils sont rares, les artistes français aussi respectés à l'étranger. Woodkid est de ceux-là. Depuis près d'une décennie, celui qui se nomme Yoann Lemoine pour l'état civil déploie son univers ultra personnel, à la fois sombre et romantique, épique et intime dans ses compositions électroniques comme dans ses créations visuelles.

 

Après s'être fait un nom comme réalisateur de clips notamment pour Drake, Rihanna ou Lana Del Rey (le culte Born to Die, 2011), c'est son premier album, The Golden Age, qui en 2013 le propulse sur le devant de la scène. L'auteur-compositeur-interprète lyonnais, à peine trentenaire, devient alors un talent très recherché. Il multiplie les collaborations tous azimuts — avec Pharrell Williams, Max Richter, JR, Mylène Farmer. En 2020, Woodkid sort un ambitieux deuxième album, S16 . En 2025, il compose la bande-son du jeu vidéo à succès Death Stranding 2: On the Beach. Rencontre avec un artiste doué d'hypersensibilité.

« Quand je suis arrivé à Paris, en 2004, je traînais beaucoup dans le quartier du Marais. Le Centre Pompidou est alors vite devenu un objet de mon paysage quotidien. Je dis objet, car pour moi c'est vraiment ça – comme un gros Lego posé dans Paris. C’est un lieu visuellement joueur, provocateur aussi. Ce bâtiment a beaucoup été décrié à ses débuts, mais c’est un objet architectural qui demande à ce qu’on le comprenne. Beaubourg a toujours un vivier culturel : si ça avait été une boîte blanche, ça n’aurait pas jamais eu cet impact.

 

 

J’ai un lien particulier avec le Centre Pompidou parce qu’en 2019 j’ai participé au fameux défilé Louis Vuitton pour lequel l’architecture de Beaubourg avait été reconstituée dans la Cour carrée du Louvre. Une idée de Nicolas Ghesquière (le directeur artistique de la mode féminine, ndlr), qui voulait mettre en miroir deux architectures particulièrement parisiennes qui sur le papier semblent conflictuelles, mais qui sont éminemment complémentaires. J’ai composé l’ambiance sonore du défilé, on y retrouvait les Rita Mitsouko, Axel Bauer, Jean-Michel Jarre, les grands noms des années 1980 — les premières années Beaubourg.

 

Le Centre Pompidou est comme un gros Lego posé dans Paris. C’est un lieu visuellement joueur, provocateur aussi. Ce bâtiment a beaucoup été décrié à ses débuts, mais c’est un objet architectural qui demande à ce qu’on le comprenne.

Woodkid

 

Je ne vais jamais seul dans les musées. J’aime toujours confronter mon regard à celui de quelqu'un. Je viens régulièrement au Centre Pompidou avec des amis, c’est un passage obligé ! Une exposition que j’ai adorée, c’est celle consacrée à Pierre Paulin. Je suis fan de design, avec une préférence pour le mid century italien, américain et français. J’adore Pierre Jeanneret et Jean Prouvé, que je collectionne. J’aime aussi énormément Ettore Sottsass, mais plutôt la période Synthesis pour Olivetti. Et le design japonais, notamment Kazuhide Takahama.

 

 

Un artiste qui me fascine aussi, c'est Jean Tinguely. J’ai eu la chance de pouvoir enregistrer certaines de ses œuvres en mouvement (au Stedelijk Museum d'Amsterdam, ndlr), et cette matière a vraiment donné une couleur sonore très industrielle au titre “Pale Yellow” sur mon deuxième album, S16.

Tout récemment, je suis venu voir « Paris noir », et je me suis pris un tsunami d'émotions ! Dans cette exposition hyper dense, je ne savais pas trop à quoi m'attendre… Je me suis parfois senti un peu ignorant, j’ai découvert mes lacunes, et les œillères que l’on peut avoir sur l’histoire de l’art, une vision filtrée et biaisée. Bref une forme de whitewashing. C’était une bonne petite remise à niveau ! Et puis une chose m'a réconforté : le pouvoir politique de la musique. Car nombre de grandes figures exposées étaient aussi des musiciens. 

 

Il y a énormément de tendresse, de douceur chez Tillmans. Son rapport au HIV, son attachement à l’Europe, sa crainte face à la montée du fascisme… Ces sujets le tourmentent, et pourtant il les aborde avec tellement d’humanité.

Woodkid

 

Je suis aussi évidemment passé voir l’exposition de Wolfgang Tillmans, avec lequel j'échange très régulièrement. J’ai d’ailleurs une photo de lui dans ma collection, qui fait partie de la série avec le musicien Frank Ocean (dont on voit le plus célèbre cliché dans l’exposition, ndlr). Je suis resté très longtemps, et j’ai tout aimé ! Tout me parle, autant son attrait pour le formalisme et l’aspect plastique, que celui pour la chair, l’émotionnel, le sensuel, le sexuel. Nos univers visuels sont assez différents, mais pour autant il y a un fil métaphysique qui nous unit, un fil intime ; une vision très particulière, un rapport au monde. J’ai l’impression que tous les deux nous recherchons des émotions dans des endroits inattendus. 

Ce que j’aime dans son travail, c’est que je ne décèle aucun cynisme. Il y a énormément de tendresse, de douceur chez lui. Son rapport au HIV, son attachement à l’Europe, sa crainte face à la montée du fascisme… Ces sujets le tourmentent, et pourtant il les aborde avec tellement d’humanité. Il y a peu de gens qui sont pour moi des modèles ; Wolfgang Tillmans est de ceux-là. C’est quelqu’un d’une extrême intelligence sensorielle, visuelle, politique, sociale. Je comprends ce qu’il trouve beau, et certaines de ses photos sont même pour moi comme des mots de passe, des codes. Tillmans va chercher la beauté dans les choses les moins évidentes – là où les gens ne veulent pas la voir. Il me touche infiniment. » ◼