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L’affiche du Crocrodrome de Zig et Puce, à la fois vive et foisonnante, témoigne de l’esprit exubérant et ludique de l’œuvre de Jean Tinguely et de son univers visuel en 1977. Elle combine dessin à main levée, collages, lavis colorés et typographie manuscrite pour créer une composition éclatée, à la frontière entre art brut, bande dessinée et graphisme expérimental. Le mot 'CROCRODROME' est écrit en lettres noires déformées et dansantes, entouré de personnages et de créatures hybrides : un crocodile verdâtre, un escargot géant, une créature semblable à un dinosaure, une araignée noire stylisée. Des figures enfantines, notamment les célèbres personnages de Zig et Puce, semblent flotter ou interagir avec ces formes, créant un dialogue visuel entre imaginaire narratif et art plastique. Le fond est un patchwork de taches d’aquarelle jaune, verte, rose et beige, renforçant la spontanéité et la texture gestuelle du visuel. En bas de l’affiche, l’annonce manuscrite de l’exposition au Centre Georges Pompidou complète le ton artisanal de l’ensemble. Cette affiche constitue à la fois un objet promotionnel et une œuvre artistique autonome, incarnant l’essence du Crocrodrome : un monde d’inventions, de jeux, de mécanismes et d’imaginaire mécanique.

L'histoire secrète du « Crocrodrome de Zig & Puce », de Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely

Train fantôme, flipper géant, cabinet de curiosités… Gigantesque monstre d'une trentaine de mètres de long tout droit sorti du cerveau de Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, Le Crocrodrome de Zig & Puce prend vie dans le Forum en 1977, année de l'ouverture du Centre Pompidou. Installation farfelue destinée au jeune public, cette œuvre éphémère symbolise la vision nouvelle de l'institution muséale portée par Pontus Hulten, premier directeur du Musée national d'art moderne et ami du couple d'artistes. Retour sur une aventure collective devenue culte, alors que s'ouvre « Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten », une exposition Grand Palais × Centre Pompidou.

± 8 min

« Le Cacadrome ». C'est ainsi que Jean Tinguely voulait baptiser le projet d'installation géante qu'il avait en tête avec Niki de Saint Phalle pour le Centre Pompidou — « un titre simple qui fonctionnait pour les enfants », racontera avec roublardise l'artiste. Heureusement pour la postérité, le président Robert Bordaz le lui déconseilla… L'œuvre collective prendra finalement le nom de Crocrodrome de Zig & Puce. « Au lieu de mentionner des noms compliqués […] Niki de Saint Phalle — est-ce qu'on écrit avec un "f" ou pas ? — , Jean Tinguely — comment ? Il y a un "u" ou un "e" ?  —, alors Zig & Puce, c'est bon, ça simplifie les choses ! », résumait Jean Tinguely. 

 

En ce début 1977, alors que le tout nouveau Centre Pompidou ouvre enfin ses portes dans le quartier Beaubourg après des années de travaux, un étrange monstre de ferraille et de plâtre accueille les publics dans le Forum central.


En ce début 1977, alors que le tout nouveau Centre Pompidou ouvre enfin ses portes dans le quartier Beaubourg après des années de travaux, un étrange monstre de ferraille et de plâtre accueille les publics dans le Forum central. Long d'une trentaine de mètres, Le Crocrodrome de Zig & Puce est une créature hybride, tout droit sortie du cerveau d’un duo d’artistes hors du commun, Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely. L'artiste suisse a griffonné de nombreux plans de cette attraction loufoque, qu'une note du projet, rapportée par Bernadette Dufrêne dans le catalogue de l’exposition, décrit comme « un édifice mi dragon, mi navire, mi caverne, mi palais ». Pendant de longues semaines, le public assiste, médusé, à sa construction, assemblage de matériaux hétéroclites.

Dans le droit fil de Hon, la gigantesque sculpture pénétrable conçue en 1966 par Saint Phalle et Tinguely pour le Moderna Museet de Stockholm (dont Pontus Hulten est alors le directeur), ce Crocrodome se visite de l’intérieur. Si Saint Phalle et Tinguely sont les architectes du projet, les artistes Bernhard Luginbühl, Robert Rauschenberg, Martial Raysse et Daniel Spoerri participent à cette œuvre collective farfelue, qui met des semaines à prendre forme. 

 

Le Crocrodrome de Zig & Puce ouvre le 1er juin 1977. Durant sept mois, il offre au jeune public un lieu de vie et de plaisir, sorte de fête foraine populaire mélangeant train fantôme, flipper géant, distributeurs gratuits de chocolat et espaces d’animations.

 

Le Crocrodrome de Zig & Puce iouvre le 1er juin 1977. Durant sept mois, il offre au jeune public un lieu de vie et de plaisir, sorte de fête foraine populaire mélangeant train fantôme, flipper géant, distributeurs gratuits de chocolat et espaces d’animations, signés Daniel Spoerri, tel Le Musée sentimental. Comme le souligne le catalogue : « Le jeu se prolongeait avec La Boutique aberrante, où des objets-reliques créés par des artistes pouvaient être vendus. Le Musée sentimental réactivait la forme du cabinet de curiosités (par laquelle les musées ont commencé à la Renaissance, sans hiérarchie entre œuvres, objets naturels ou historiques), proposant ustensiles, bric-à-brac, faux ou originaux comme le « violon d’Ingres ». Le public adore cet espace d'une folle inventivité, célébrant le collectif et le loisir populaire. Le personnel du Centre Pompidou goûte moins le vacarme métallique de l'infernale machine, où poulies et moteurs activent d'invraisemblables bricolages.

 

Le Crocrodrome fait partie d’une série longue et grandiose de projets et de créations. […] Tous ces projets sont des monuments d’un autre art : un art joyeux, libéré des contraintes de l’objet commercialisable, dynamique, actif même, vivant en symbiose avec un public qui n’est même plus "public" mais en fait partie intégrale. 

Pontus Hulten, premier directeur du Musée


Pour Pontus Hulten, l’emblématique premier directeur du Musée national d'art moderne et instigateur du projet, « Le Crocrodrome fait partie d’une série longue et grandiose de projets et de créations. Certains ont vu le jour, d’autres sont encore à réaliser. C’est une série où très souvent une idée se fond dans une autre, ou peut survivre pour réapparaître quelques années après, plus nourrie et plus développée […] Tous ces projets sont des monuments d’un autre art : un art joyeux, libéré des contraintes de l’objet commercialisable, dynamique, actif même, vivant en symbiose avec un public qui n’est même plus "public" mais en fait partie intégrale. Monde nouveau où les lignes de démarcation entre la Vie et l’Art ont entièrement disparu. » Comme sa grande sœur Hon, la vocation du Crocrodrome est d’être éphémère : le fanstastique monstre sera détruit en janvier 1978 — non sans avoir marqué à jamais les esprits des petits et des grands. ◼