Université permanente de Paris : Histoires de familles

Histoires de familles

En 1895, le programme de la première projection publique du cinématographe des frères Lumière comprenait une émouvante vue familiale intitulée Le Repas de bébé. Mais filmer sa famille a longtemps été le privilège des milieux aisés. Ce n’est que dans les années 1960 et 1970, grâce à un matériel plus léger, que le cinéma expérimental puis le documentaire se sont emparés pleinement du film domestique pour en faire l’occasion d’un retour critique sur soi autant que d’une poétisation et d’une politisation de l’intime.

Dans Les Vacances du cinéaste (1974), Johan van der Keuken capte, en 16 mm, au cours de l’été, des moments de bonheur avec son épouse et leurs enfants. Mais filmer sa petite famille ne veut pas dire pour ce documentariste engagé laisser de côté le monde qu’il n’a cessé de parcourir : par le montage des temps et des images, il inscrit cet amour dans un réseau affectif plus vaste, englobant les amis, les générations disparues, les étrangers. Une décennie plus tard, Ross McElwee filme dans Backyard (1984) son père et ses employé·es domestiques noir·es dans la maison familiale du sud des États-Unis, mêlant des prises sur le vif à une voix off rétrospective teintée d’autodérision. La distance entre les générations est affective autant que politique.

Ce cinéma intime n’est pas seulement témoin du passé familial, il possède une puissance de transformation : par l’enquête, le dialogue, la mise en récit et même en fiction, il permet au cinéaste ou aux membres d’une famille de se remettre en mouvement, de se réapproprier leur histoire, voire de soigner les traumatismes. Quand Françoise Romand filme les familles anglaises de Mix-up ou Méli Mélo (1985), dont les deux filles avaient été échangées par erreur à leur naissance, l’émotion qui point dans la parole des mères révèle le discret effet cathartique du tournage. Enfin, avec A Metamorfose dos Pássaros (2020), Catarina Vasconcelos déploie la puissance de fiction du cinéma pour créer les images manquantes à même de ressaisir une histoire familiale qui lui échappait et d’inscrire celle-ci dans l’histoire du Portugal.

Intervenante : Camille Bui, enseignante-chercheuse, maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.