Visage de femme (voile étoilé) L 5

La planche du MNAM est la cinquième de la série L datée de 1942. Elle comprend dix-neuf variations figurant une femme enveloppée d'un voile brodé d'étoiles qui découvre par moment le corps nu. Matisse indique: « Considérez, dans une même suite de dessins, la robe ou les étoffes. Vous leur trouverez, dans chaque dessin, la même qualité que dans toute la série. Et ainsi des autres éléments. Il y a donc dans ces séries une partie descriptive d'objets qui reste immuable d'un dessin à l'autre... Même s'il me prend d'y ajouter quelques petites appoggiatures ! Seule l'expression du modèle a changé »1. La partie descriptive — ici le voile et les bijoux — contribue à l'unité stylistique de la série.

On a pris l'habitude de regarder Thèmes et variations comme une expérience plastique « historique » dans l'œuvre de Matisse et de s'y rapporter, série par série, et parfois feuille par feuille, en vue d'une contemplation fragmentaire. Or Matisse, qui accomplit « cet effort de dessin » d'une seule lancée entre 1941 et 1942, semble attribuer à cette œuvre une valeur tout autre. Les cent cinquante-huit feuilles que comptait l'ensemble des Thèmes et variations paraissent avoir constitué un stock dans lequel Matisse puisait pour accrocher, contempler, combiner à des fins de peinture. Aragon devant ce travail disait: « Henri Matisse, au milieu de ces images achevées de l'inachevable, semble chercher lui-même l'explication de son entreprise en la poursuivant ». Et il y voyait « la démonstration de deux vérités, qu'on n'a exprimées jusqu'ici ni par le dessin ni par la peinture, (...) la vieille rengaine de Buffon : Le style, c'est l'homme même, et la boutade de Gustave Flaubert : Madame Bovary, c'est moi »2. Le miroir, le fauteuil (celui du modèle), la table de travail (une simple caisse), le tabouret (de l'artiste) constituent le dispositif du travail d'expression qu'explorent entre identité et mimétisme, les Thèmes et variations. L'atelier est une chambre de « clairvoyance », où l'artiste, Matisse en l'occurrence, s'exclame : « Un dessin n'est-il pas la synthèse, l'aboutissement d'une série de sensations que le cerveau a retenues, rassemblées, et qu'une dernière sensation déclenche, si bien que j'exécute le dessin presque avec l'irresponsabilité d'un médium ? — Abrité derrière mon irresponsabilité, je les aime, les dessins, je les étudie ; j'y cherche des révélations sur moi-même. Je les considère comme des matérialisations de mon sentiment. »3

Anne Baldessari

Notes :

1. Cité in Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 174, note 26 (Louis Aragon, Henri Matisse. Roman, Paris, Gallimard (vol. 1), 1971).

2. Louis Aragon, Henri Matisse. Roman, Paris, Gallimard (vol. 1), 1971, pp. 58-59.

3. Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 160, note 4 (« Matisse-en-France » — « La Grande Songerie » in Louis Aragon, Henri Matisse. Roman, Paris, Gallimard (vol. 1), 1971).

Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989