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Guillaume Blot, photographe français au style affirmé, pose devant une station-service. Gilet en jean, béret blanc et banane en bandoulière composent un look urbain et décontracté.

Du routier au musée, le regard sensible du photographe Guillaume Blot

Du stade nantais de la Beaujoire aux restos routiers, il trace une carte poétique de la France populaire. À 36 ans, Guillaume Blot poursuit une œuvre singulière : raconter l'Hexagone par ses lieux de convivialité et ses authentiques éclats de vie. Pour l'édition 2025 du prix Marcel Duchamp, il a tiré le portrait des quatre finalistes. Rencontre avec un talent qui monte.

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En cette lumineuse matinée d’été, il vient de finir un shooting dans l’atelier de l’artiste Xie Lei, finaliste du prix Marcel Duchamp 2025, dont le studio se situe à Choisy-le-Roi. Lui, c’est le photographe Guillaume Blot, invité à réaliser les portraits des quatre artistes du Prix, ainsi que des visites d’atelier. Installé à la terrasse du Saint-Louis, une brasserie d’angle, le talent montant de la photographie française sirote une eau pétillante. 

 

T-shirt blanc et calot duquel s'échappe une touffe de cheveux blonds décolorés, veste en jean, boucles d'oreille… on le croirait tout droit sorti du film Querelle de Fassbinder (1982), si ce n’était, sur son avant-bras droit, ce tatouage « les dents à Didier » (Deschamps). « C’est un hommage au sélectionneur de l’équipe de France, je l’ai fait quand on a été champions du monde en 2018. Et mon père m’a biberonné au FC Nantes », confie avec une candeur désarmante ce natif de Loire-Atlantique.

À quatre ans, il fréquentait déjà le mythique stade nantais de la Beaujoire, où il a ressenti « ses premières belles émotions collectives », avec un intérêt marqué pour l’avant-match ; les odeurs de gras, les frites, le speaker… Si Marcel a eu sa madeleine, Guillaume, lui, a sa frite ; « Ces rassemblements, ça fait partie de moi », confie-t-il.

 

Si Marcel a eu sa madeleine, Guillaume, lui, a sa frite ; « Ces rassemblements, ça fait partie de moi », confie-t-il.

 

Nul hasard, donc, si sa première série photographique Buvettes, initiée en 2015, explore les buvettes et les snacks de stades. On y aperçoit les écharpes bigarrées des supporters, les en-cas réconfortants à dominante régionaliste, le tout servi avec de roboratives portions de frites. Cette galerie de portraits hauts en couleur préfigure les suivantes, Rades et Restos routiers (débutées en 2018). Un condensé de « scènes de vie assez folles, de punchlines, de lieux qui ont une âme » selon Blot, ayant toutes les deux débouché sur des publications, sous la forme de séries estivales pour le quotidien Le Monde, avant d’être rassemblées dans deux livres remarqués.

Six étés durant, il aura poussé la porte de quelque cent vingt restaurants routiers parmi les sept cents encore en activité, au gré de ses déplacements en van Volkswagen, sa « Blotmobile » d’une taille bien modeste, comparée aux imposants trente-huit tonnes garés en épi sur les parkings de ces établissements. Il y a quelques années, on en comptait plusieurs milliers floqués du fameux macaron bleu et rouge « Les Routiers », aux abords des grosses départementales ou des nationales parmi les plus fameuses, comme la RN7. Une disparition que regrette le photographe, sans nostalgie ; « Il y a dans ces endroits un vrai mélange social, rare aujourd’hui. Tout le monde se retrouve autour d’un café crème ou d’un ballon de rouge. On s’y sent bien, un peu comme à la maison. » Au détour d'une phrase, on apprend que la grand-mère de Guillaume Blot travaillait à l’usine BN (biscuiterie nantaise) implantée à Nantes, et qu'il a des racines ouvrières. Tout s'explique.

 

Il y a dans ces endroits un vrai mélange social, rare aujourd’hui. Tout le monde se retrouve autour d’un café crème ou d’un ballon de rouge. On s’y sent bien, un peu comme à la maison.

Guillaume Blot

 

Dans toute la France, les expositions accompagnant la sortie des livres ont octroyé une belle visibilité au jeune homme ; « Ces publications marquent un jalon dans la série, sans en signifier la fin », précise-t-il. Carottes râpées, macédoines, bourguignons, maquereaux pommes à l’huile attendent donc encore notre photographe, des plats « très typiques d’une cuisine qui met tout le monde d’accord », résume-t-il, amusé — il admet cependant devoir faire du sport pour rester svelte.

La démarche de Blot, formé en continu aux Gobelins, tient presque de celle de l’anthropologue : écouter, observer, se faire accepter puis raconter. « Je n’arrive jamais avec l’appareil photo, en tout cas il n’est pas visible. Je suis un client comme les autres. Au comptoir, je prends part aux conversations. Et au bout d’un certain temps, j’explique mon travail. Puis je capte des scènes de vie, je photographie des détails, ou je fais des portraits. » Une authenticité qui lui permet de rester en contact avec certaines personnes, comme Gérard, l’Ardéchois débonnaire, en couverture de Rades, ou le Parisien Rabah, le boss du Zorba, mythique café de Belleville, à Paris.

 

La démarche de Guillaume Blot tient presque de celle de l’anthropologue : écouter, observer, se faire accepter puis raconter. 

 

Mais Guillaume Blot sait aussi se faire le photographe de nos intimités, comme avec sa série sur la contraception masculine, Parti intime. Commencée en novembre 2021, celle-ci explore l’intimité de différents couples, tout en révélant la sienne, trahissant une certaine porosité entre sa vie privée et son travail photographique. Des images sensibles, parfois crues, non dénuées d’humour, qui mettent en lumière un sujet encore tabou et un objet peu connu du grand public : l’anneau thermique.

Chez Blot, Il y a un peu du Raymond Depardon (pour son regard humaniste et l’air parfois embarrassé de ses sujets), une touche d’Agnès Varda (lorsqu'il transforme l’ordinaire en matière poétique). Et à l’instar de Martin Parr, il parvient à révéler l’absurde sans être cruel — avec le célèbre Britannique, il partage d'ailleurs un même goût du flash.

 

Le flash, ça rehausse les couleurs de manière harmonieuse, ça permet de faire ressortir une personne dans le décor.

 

C’est sa signature, qu’importe qu’il travaille avec un appareil argentique, comme son Mamiya (« j’aime l’aura du film », confie-t-il), ou un numérique, comme son Fuji, en fonction de la nature des projets. « Le flash, ça rehausse les couleurs de manière harmonieuse, ça permet de faire ressortir une personne dans le décor », explique-t-il. Cette esthétique un peu brute, ce cadrage à la volée, produit des images dynamiques, vivantes, un côté « lapin pris dans les phares » qu’il assume, d’autant plus qu’il favorise l’immersion de son public, placé en position de voyeur, et qu’il renforce sa proximité.

 

Son prochain projet ? Le moto-ball. « Comme du foot, mais à moto », précise-t-il. L'occasion de mettre de nouveau un coup de projecteur sur une passion populaire méconnue. ◼