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Focus sur… « Big Electric Chair » d'Andy Warhol

Avec Big Electric Chair, le maître du Pop Art Andy Warhol s’éloigne des stars et des produits de consommation pour explorer la face sombre de l’Amérique des années 1960. En transformant une chaise d’exécution en image pop, il révèle la manière dont la violence — médiatique, politique ou institutionnelle — imprègne la culture visuelle de son époque. Décryptage.

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Figure majeure du Pop Art américain, Andy Warhol (1928–1987) devient dans les années 1960 l’un des artistes les plus influents de son époque en transformant les produits du quotidien et les stars hollywoodiennes en icônes modernes. Ancien illustrateur publicitaire, il sérigraphie à la chaîne boîtes de soupe Campbell, bouteilles de Coca-Cola ou portraits des stars Marilyn Monroe et Liz Taylor, révélant avec acuité le pouvoir des images produites par la société de consommation et les médias de masse.

 

La face sombre du Pop Art

Derrière cette apparente frivolité, Warhol développe très tôt une veine plus grave. À partir de 1962–1963, il puise dans les archives de presse des photographies de drames — accidents de voiture, émeutes raciales, suicides, catastrophes ou scènes d’exécution — qu’il décline dans la série Death and Disaster. Grâce à la sérigraphie, procédé mécanique qu’il affectionne, l’image se répète jusqu’à devenir à la fois banale et obsédante, mimant la manière dont les médias diffusent en boucle des images de violence.

 

Grâce à la sérigraphie, procédé mécanique qu’il affectionne, l’image se répète jusqu’à devenir à la fois banale et obsédante, mimant la manière dont les médias diffusent en boucle des images de violence.

 

La chaise électrique : une icône politique

C’est dans ce contexte qu’apparaît le motif de la chaise électrique, emprunté à une photographie de la salle d’exécution vide de la prison de Sing Sing, sur les rives de l'Hudson, dans l'État de New York. En 1963, cette image résonne particulièrement : la peine de mort par électrocution fait polémique à New York, tandis que les États-Unis sont secoués par des traumatismes politiques, notamment les assassinats de John F. Kennedy et de Lee Harvey Oswald, son meurtrier, en 1963. Le mouvement croissant de protestation contre la peine capitale — relancé après l’exécution très médiatisée de Caryl Chessman en 1960 — alimente un débat national sur la violence institutionnelle.

Big Electric Chair : un spectre coloré

Avec Big Electric Chair (1967), Warhol combine couleurs stridentes, cadrage approximatif et image dégradée pour transformer cet objet de pouvoir en icône froide et spectrale. La chaise, vide, devient une allégorie de la mort mais aussi le symbole d’une violence d’État exposée comme un spectacle. La présence occasionnelle d’un monochrome à côté du motif, ou la répétition sérielle de l’image, renforce cette impression de distance, comme si la représentation elle-même s’effaçait.

 

La chaise, vide, devient une allégorie de la mort mais aussi le symbole d’une violence d’État exposée comme un spectacle.

 

Une vision pessimiste de l’Amérique

Au-delà du contexte historique, la chaise électrique s’inscrit chez Warhol parmi d’autres images résolument létales : accidents, répression policière, champignon nucléaire. Toutes témoignent d’une vision profondément pessimiste de l’Amérique des sixties, où l’obsession de la célébrité et de la consommation côtoie une fascination pour le tragique. Pour Michel Gauthier, conservateur au Musée national d'art moderne, « cette représentation d’une chaise électrique dans la chambre d’exécution s’apparente, malgré ses couleurs, à une peinture noire porteuse d'une vision foncièrement pessimiste de la société américaine. En d’autres termes, pareille peinture traduit avant tout le commerce fasciné de l’artiste avec le rien, dont la frivolité, la surface, la répétition, la mort ne sont que les différents avatars. » ◼

La peine de mort aux États-Unis dans les années 1960

Dans les années 1960, la peine de mort est encore largement pratiquée aux États-Unis, l’électrocution étant l’une des méthodes les plus courantes. Plusieurs affaires très médiatisées, notamment celle de Caryl Chessman exécuté en 1960, nourrissent un mouvement croissant de contestation : l’opinion publique s’interroge sur l’humanité des méthodes d’exécution et sur les risques d’erreur judiciaire.

 

À New York, les dernières exécutions de 1963 interviennent dans un climat national marqué par la violence politique et sociale, ce qui renforce la polémique. Cette tension aboutira quelques années plus tard à la décision Furman v. Georgia (1972), qui suspend temporairement la peine capitale aux États-Unis.

 

Dans ce contexte, la chaise électrique devient pour Warhol un symbole puissant : celui d’une violence d’État exposée au public comme une image parmi d’autres dans le flux médiatique.

 

En 2025 la peine de mort a été abolie dans vingt-trois des cinquante États américains. Six autres – Arizona, Californie, Ohio, Oregon, Pennsylvanie et Tennessee – observent un moratoire des exécutions sur décision du gouverneur.